22/02/2023
Davide Faranda, chercheur du CNRS au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, explique comment l’augmentation de la température renforce les phénomènes de sécheresse.
Pourquoi la situation de sécheresse que nous vivons est-elle
si préoccupante ?
Cela fait plus d’un mois qu’il ne pleut pas dans l’Hexagone. Du jamais-vu. C’est inquiétant
pour la France, mais aussi au niveau européen, avec des pays comme l’Espagne et l’Italie qui
rencontrent le même problème.
Comment expliquer ce manque de pluie ?
L’étude du CNRS que j’ai commencée, publiée le 17 février dans la r***e
Environmental Research Letters, explique comment l’augmentation
de la température renforce les phénomènes de sécheresse.
C’est lié à la circulation atmosphérique. Le manque de pluie est
dû au temps stable. Les conditions de temps anticyclonique – des
zones de haute pression – cumulées avec des températures plus
élevées que la normale intensifient le dessèchement des sols par
l’évapotranspiration. Le manque de précipitations et les sols qui
renvoient dans l’atmosphère une partie de l’humidité créent ce phénomène
d’assèchement.
Comment lier ce phénomène au changement climatique ?
Il y a toujours eu des sécheresses causées par des conditions climatiques
anticycloniques. Mais l’étude a démontré que le réchauffement
de l’atmosphère, qui était de 1,2 degré l’an dernier en
Europe, a renforcé l’étendue géographique
et l’intensité des anticyclones. Nous avons comparé
les archives météorologiques des sécheresses antérieures au réchauffement
climatique d’origine humaine (1836–1915) avec des plus
récentes (1942–2021). Pour la dernière période, nous constatons
des anticyclones plus denses et plus étalés sur les zones géographiques.
Avant, les sécheresses étaient moins intenses et limitées
à la France, l’Angleterre et le nord de l’Espagne. Aujourd’hui, elles
s’étalent en Italie, en Suisse et en Allemagne.
Nous revivons le même scénario que l’année
dernière.
Quelles en seront les conséquences ?
Si, dans les prochains jours, les pluies
peuvent rétablir le cycle hydrologique
normal, la sécheresse agricole que
nous avons vécue en 2022 pourrait
être évitée. Et les dommages
sur la végétation rester limités.
Le problème, c’est que la sécheresse
de 2023 s’accumule avec celle
de 2022 dans certaines régions.
Des cultures risquent de mourir.
Le manque d’eau peut pénaliser
le fonctionnement des centrales
hydroélectriques et aussi, sur le
long terme, celui des centrales nucléaires.
D’ordinaire, à l’échelle
européenne, en temps de sécheresse,
les pays s’entraident pour y
faire face. Si le phénomène se généralise,
ce ne sera plus possible
et les conséquences peuvent être
catastrophiques.
En quoi votre étude démontre-t-
elle l’évidence entre les activités
humaines et ces épisodes
de sécheresse de plus en plus
denses et étendus ?
Nous savons que les émissions de
CO2 font augmenter la température.
L’équation de base de la physique
montre que la température
est liée à la pression. Il s’agit du
même principe que pour faire voler
les montgolfières. Dans le cas des
anticyclones, en produisant du
CO2, la température augmente et
nous retrouvons une expansion
comme un ballon qui se gonfle.
Les anticyclones essaient
d’aller vers le
haut, de grossir, mais
l’atmosphère est limitée
par la tropopause.
Alors ce gonflement ne
peut pas continuer à
l’infini. Quand un ballon
est limité, il s’étale.
C’est ce que fait l’anticyclone,
qui va prendre
la place de toute l’Europe.
Donc si vous additionnez
ces éléments physiques connus à
notre étude, le lien est très clair. Et
assez inquiétant. Car si nous continuons
avec les émissions de CO2,
nous continuons d’augmenter la
température. Ce qui renforcera la
possibilité d’avoir des zones anticycloniques
stables. Donc les périodes
de pluie, qui existent quand
même, ne sont plus suffisantes
pour remplir de nouveau les nappes
phréatiques.
Quelles seraient les actions
à mettre en place pour limiter
les dégâts ?
Économiser l’eau, c’est toujours
une bonne idée. Il faut avoir en tête
que l’eau n’est pas une ressource
infinie. Il serait bienvenu de réfléchir
en termes de mécanismes de
coopération européenne et d’arrêter
de gérer l’eau au niveau national.
L’eau est le bien commun de
tous les citoyens. Bien évidemment,
il est impératif de réduire les
émissions de CO2 afin d’éviter que
le problème ne devienne systémique.
On utilise mal l’eau, pour
augmenter les émissions de CO2 qui
causent davantage de sécheresse
et on se retrouve avec encore moins
d’eau ! Il faut revoir notre mode de
consommation, notre mode de
production industrielle et agro-industrielle.
N’oublions pas notre
histoire. Les sécheresses – qui ont
été la cause de famines puis d’épidémies
– ont toujours été le déclencheur
de crises socio-économiques
et politiques importantes, voire de
révolutions.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR
NADÈGE DUBESSAY
Davide Faranda, chercheur du CNRS au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, explique comment l’augmentation de la température renforce les phénomènes de sécheresse.