27/08/2023
Conditions successorales
Dans bon nombre chefferies du Nord, le mode de succession "père/fils" n'est pas la voie royale pour succéder à un Lamido défunt. La succession bien que préparée dans le sens filial bute toujours contre les ambitions:
(1) des frères du défunt;
(2) des candidats évincés lors de sa désignation;
(3) des princes de la même lignée se réclamant d'un grand-père commun;
(4) des princes issus d'une autre dynastie ou d'une autre "maison", et même
(5) d'administrateurs aventuriers qui comptent sur leurs appuis politiques pour compenser la faiblesse de leurs prétentions légitimes au trône.
En somme, il y a du monde lorsqu'il y a succession, et ce depuis que les princes peuls ont compris que l'ingérence de l'administration (coloniale et postcoloniale) était l'atout majeur pour se faire désigner. Le nombre de candidats, y compris du vivant du Lamido, créée un climat de compétition sournoise, qui à la mort du chef se manifeste par des ligues, des complots et tous genres d'astuces insoupçonnables dont est capable tout prince avide d'accéder au pouvoir, ou soucieux d'empêcher un autre d'y accéder.
Quand on voit une liste comme celle-ci, on s'étonne naturellement, car on comprend mal cette ingérence administrative dans un domaine "traditionnel", autrefois réservé aux conseils de notables. On imagine pas une liste pareille à Foumban ou dans les grandes chefferies des Grassfields. Là-bas, on connaît certes les lois de 1977 et 1982 qui permettent l'arbitrage de l'autorité administrative, mais on les ignore purement et simplement. Les affaires de dévolution du pouvoir sont préparées et réglées par des sociétés secrètes, garantes des coutumes successorales et dépositaires des volontés du chef défunt. Leur caractère ésotérique et surtout leur pouvoir de nuisance bien connu et bien éprouvé sont tels qu'ils découragent toute personne non légitime de s'aventurer à réclamer le trône, même avec l'appui de l'administration ou du parti.
Il faut dire que dans les chefferies de l'ouest, ils ont compris qu'il ne fallait pas attendre l'administration : ils la devancent. Quand la mort du chef est annoncée, son successeur est déjà désigné et préparé pour parer à toute éventualité. Parfois le chef est même enterré depuis longtemps par les sociétés secrètes. Dans ces cas-là, l'administration n'est sollicitée que pour une HOMOLOGATION, c'est-à-dire pour une reconnaissance a posteriori d'une décision de succession émanant d'un conseil de dignitaires. La présence de la société secrète fortifie les décisions du conseil, et puisqu'aucune opposition n'est soulevée, l'administration n'a d'autre choix en général que de confirmer dans le titre de chef traditionnel de 1er, 2e ou 3e degré le seul postulant. Bref il y a un travail de dissuasion des candidatures multiples qui est fait en amont dans les Grassfields, et qui n'existe pas vraiment dans les chefferies peules du Grand-Nord. Ici c'est chacun pour soi, Dieu pour tous.
Pour revenir à cette liste, l'opinion générale à son sujet est qu'elle a été élaborée de manière à évincer certains postulants. L'exigence d'un document que seul le fils du défunt ou un de ses proches a pu établir est manifestement une condition propre à léser ceux qui ne pourront pas avoir accès au document 📃. Je pense que ceux-là vont très vite attaquer la décision de l'administration, en exigeant par exemple que si la présentation de cette pièce (copie certifiée conforme de l'acte de décès) devait être maintenue, elle devrait être accessible à tout postulant au trône. Le communiqué-radio de l'administration est d'ailleurs paradoxal puisqu'il constate un décès par voie médiatique, pour ensuite demander aux postulants de produire une pièce qui atteste de ce décès... Administrativement, on distingue entre "mort" et "décès" et dès lors que l'administration emploie le second mot, sauf à se rendre coupable de propagation de fausses nouvelles, elle atteste déjà un fait qui n'a plus besoin d'être prouvé par un candidat à la chefferie. On imagine bien que dans ces conditions, la personne qui a le document ne va pas en faire des photocopies certifiées conformes pour les distribuer à ses concurrents 😀.
Le jour où une famille lamidale fière et sûre d'elle-même comprendra vraiment les lois de 1977 et de 1982, elle organisera les successions et autres devolutions du pouvoir sans se soucier du fait, redouté par la plupart des maisons aujourd'hui, que le prince choisi ne soit pas automatiquement adoubé par l'administration. Ce jour-là, elles notifieront par une simple lettre à l'autorité préfectorale le choix fait, en sollicitant que celui-ci soit entériné en désignant le "Lamiɗo" comme "Chef traditionnel de X degré" et "Auxiliaire de l'administration" comme on aime si bien le dire en haut lieu. Déjà dans certaines chefferies, tous les princes illégitimes ne parviennent pas à investir la chefferie, à y dormir par exemple. C'est je crois l'un des indices de cette dissociation établie depuis la colonisation entre "chef traditionnel" (Lamiɗo, sultan, etc.) et "chef traditionnel administratif". Et surtout le signal que les lois de 1977 et de 1982 doivent être refondées et corrigées.