16/12/2022
Affaire des primes des handballeuses
COMPLAINTES DES JOUEUSES, IMBROGLIO ET FORTS SOUPCONS DE DETOURNEMENT DE DENIERS PUBLICS
De captures d’écran qui circulent sur les réseaux sociaux, l’on apprend que les Lionnes de handball se plaignent de leur traitement par les autorités et de la non valorisation de primes promises dans le cadre de leur participation à la 25e édition de la Coupe d’Afrique des Nations féminine de Handball, qui s’est disputée à Dakar au Sénégal, du 9 au 19 novembre dernier. Elles revendiquent aussi une prime pour leur qualification au Championnat de monde féminin de handball qui se jouera du 30 novembre au 17 décembre 2023 au Danemark, en Norvège et en Suède.
« Il n’a jamais été question de ces primes de qualification ou de revalorisation de leurs primes », confie, sous anonymat, un membre de la délégation camerounaise à Dakar. « Si elles veulent parler de primes olympiques, cela est compris dans la prime de participation qu’elles ont reçue. Il n’est pas d’usage qu’on paye des primes de qualification, même lorsqu’il s’agit de football, sauf prime spéciale. Pour la prime de podium, le ministre a fait payer », ajoute une source au ministère des Sports et de l’Education physique (Minsep).
De diverses sources, l’on apprend que du 24 octobre (date du début du stage à Yaoundé) au 5 novembre (lendemain de leur arrivée au Sénégal), la Fédération camerounaise de handball (Fécahand) aurait débloqué 66.000 FCFA par jour de stage. Soit un total de 726.000 FCFA pour 11 jours. Du ministère, les handballeuses auraient reçu en outre chacune 1.000.000 de FCFA en brut, 890.000 FCFA net d’impôt, pour leur participation au tournoi continental, avant leur départ du Cameroun.
DES CHIFFRES ET DES LETTRES
« A Dakar, nous avons reçu 350.000 FCFA des poches de Monsieur Ngando, responsable au ministère et chef de la délégation camerounaise », confie une joueuse. « Après la victoire en 1/4 de finale, M. Ngando nous donne une prime spéciale d’après lui de 350.000 à se partager à 16. Chacune avait eu je pense 21.875 FCFA pour une équipe qui doit jouer une demi-finale de la CAN. On a pris avec bon cœur. Est-ce qu'on refuse l'argent », peut-on lire dans la complainte des joueuses.
« Le Dr Laurice Patricia Mendjime leur a donné 500.000 FCFA », avance un responsable au ministère. Ce que conteste un membre de la Fédération qui accuse le médecin de l’équipe depuis 2013, « très proche du président », d’être apparue « seulement pour récupérer sa part et disparaître comme d’habitude ».
« Aux joueuses, l’ambassadeur du Cameroun au Sénégal a donné deux fois 100.000 FCFA pour les encourager. Ce à quoi il faut ajouter 200 euros (un peu plus de 130.000 FCFA) donnés par l’ancienne athlète internationale camerounaise Louisette-Renée Thobi (actuellement Secrétaire générale de la Conférence des ministres de la jeunesse et des sports de la Francophonie avec résidence à Dakar, Ndlr). 300 € (environ 196.000 FCFA) ont aussi été donnés par le Secrétaire général du Minsep », explique le même membre de la délégation.
« Il y en a parmi elles qui ont reçu comme Karichma (Ekoh Kaltoume) plus de 2.000.000 de FCFA à titre de manque à gagner qu’on donne aux professionnelles. Ebanga a reçu près de 2.000.000, etc. Elles ont même reçu la prime de tennis avant de quitter Yaoundé. Elle ont eu droit à une prise en charge complète avec les moyens qu’on avait. On ne peut pas inventer les moyens et ce n’est pas le ministère qui fait les budgets des fédérations. Les arbitrages se font au niveau des Services du Premier ministre. Voilà par exemple les Dixiades qui ont été annulées faute de moyens. Il y a même des délégations sportives qui sont parties sans moyens », poursuit le même responsable du Minsep.
RÉCAPITULATIF
En termes de primes, compte non tenu de ce qu’elles ont reçu des personnalités citées plus haut, les Lionnes du Hand ont ainsi reçu au total : 726.000 de FCFA pour le stage de préparation (payés par la Fédération) ; 14.240.000 de FCFA net d’impôt au titre de leur participation à la compétition (payés par le ministère) ; 14.240.000 de FCFA net d’impôt au titre de la prime de podium (débloqués par le ministère et remise par le Secrétaire général de la Fédération). Soit un total de 29.206.000 FCFA pour toute l’équipe (1.825.375 FCFA pour chacune des 16 joueuses). Ce dont elles auraient peut-être pu se contenter si elles n’avaient pas appris que l’Etat avait débloqué, pour cette campagne africaine et leur prise en charge, plus que ce que les responsables de la Fédération veulent faire croire.
Dans un document produit par la Fécahand et intitulé « 25e Coupe d’Afrique des Nations Séniors Dames à Dakar (Sénégal) du 07 au 20 novembre 2022 : Etat pour servir de paiement des primes Olympiques des athlètes pour douze jours de stage bloqué du 24 octobre au 05 novembre 2022 », il apparaît que 22 athlètes (?) ont déchargé à ce titre un total net de 1.005.700 FCFA. Chaque athlète percevant entre 25.700, 35.600, 44.500 et 53.400 FCFA, sans précision sur les disparités observées. Dans le même temps, trois (3) encadreurs techniques et médicaux (Mukwade Nyake Olympe, Beyene Joseph et Mendjime Fanneman Laurice) ont perçu 2.002.500 Fcfa de primes de participation au total.
Plus que ces écarts, c’est la vérité sur le montant débloqué par le ministère qui fait problème. Nous n’avons pas pu obtenir du Minsep des précisions sur le virement effectué sur le compte de la Fécahand au titre de l’apport de l’Etat à la participation du Cameroun à cette CAN féminine de handball. Mais selon Serge Mbappè, dont le post a fuité d’un forum, le ministère aurait débloqué 150 millions au titre de la participation du Cameroun à cette compétition. Il précise : « La Fécahand n’a jamais budgétisé la prime de qualification à la Coupe du monde. Le Minsep a payé les primes olympiques, la prime de participation, la prime de podium. La prime de qualification qu’elles réclament n’a jamais fait partie d’un quelconque budget déposé par la Fécahand », peut-on lire. Qu’en est-il dans le fond ? Quel usage a été fait de la subvention débloquée par l’Etat.
LE COMPTE N’EST PAS BON
Le budget de 150 millions a bien été financé, selon diverses sources proches du dossier. Seulement, selon un relevé du compte de la Fécahand qui circule sous le boisseau, il apparaît que ce compte a été crédité de 103.953.151 FCFA par le Minsep en date du 14 novembre 2022, soit deux jours avant le ¼ de finale disputé par les handballeuses camerounaises le mercredi 16 novembre. Pourquoi 103 millions et non les 150 millions dont tout le monde parle. Où est passé le gap ? Mystère…
24 heures après le virement, soit le 15 novembre 2022, par chèques N°2567302 et N°2567303, 60.000.000 de FCFA et 43.000.000 de FCFA vont être tirés sur le compte, avec un libellé sujet à caution : « Stage Brésil, Remboursement International Negoce ». Sans autre précision. De quel stage s’agit-il lorsqu’on sait que la préparation des handballeuses s’est déroulée à Yaoundé. Quid de ce que la Confédération africaine de handball a versé à la Fédération camerounaise de handball comme aux autres fédérations qui ont pris part à la compétition?
Personne, pour le moment, au ministère et à la Fédération, ne veut s’exprimer publiquement sur ces questions d’intérêt. Peut-être faut-il que les organes compétents de l’Etat obligent le sénateur Raymond Mbita (président de la Fécahand), son Secrétaire général Kueté et le chef de la délégation à Dakar, à le faire. Manu militari.
APPEL DU CŒUR
Les frustrations des joueuses camerounaises sont humaines et compréhensives à plus d’un égard. Pas d’équipementier (elles ont joué avec au moins deux marques différentes). Pas de sponsor. La boite à pharmacie « quasi inexistante », les obligeant parfois à se procurer, par leurs propres moyens, le minimum nécessaire. A quoi il faut ajouter ce que le traitement de certaines équipes adverses par leurs pays est susceptible de créer naturellement chez elles.
Apprenant ce qu’elles gagnaient après être venues à bout du Congo Brazzaville, la capitaine de l’équipe de ce pays voisin, ancienne internationale camerounaise naturalisée Congolaise, va donner de sa poche 100 dollars à chacune de ses sœurs. Soit 1.600 dollars au total. Diane Yimgang a de quoi faire. Pour la phase de poule et le ¼ de finale perdu face au Cameroun, chaque Congolaise a reçu au moins 4.000.000 de FCFA et des honneurs. Le président Sassou Nguesso les a reçues à leur retour à Brazzaville et fait débloquer 100 millions de FCFA de prime spéciale pour l’équipe. Les Angolaises, quant à elles, championnes d’Afrique, ont reçu chacune un Prado, des téléphones Android, en plus des primes en millions, témoigne une joueuse camerounaise.
On se rappelle que mis au courant de la décision des Lionnes de ne pas jouer la finale contre les Angolaises si on continuait à leur manquer de considération, le ministre des Sports, Narcisse Mouelle Kombi avait, de Bruxelles, commis un post où il promettait une prime spéciale du chef de l’Etat pour cette équipe habituée à porter haut les couleurs du Cameroun. Les Lionnes de handball espèrent toujours la concrétisation de cette promesse. Convoquant, avec leur fragilité, la paternelle attention du chef de l’Etat pour qui « il n’y a pas de sport majeur, de sport mineur ou de sport réservé ».
L’Etat fera toujours sa part, entend-on. Peut-on attendre autant de la Fécahand dont le président, des fois critiqué pour sa distance et ses absences, brille par son absence à Dakar et par son silence interrogateur sur cette affaire ?
T.G.G