17/05/2024
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Ernestine Nadia Mbakou - MEN
J'ai toujours eu à cœur la cohésion familiale.
J'étais prête à tout pour maintenir ma famille soudée.
J'étais une femme, une mère , qui ne demandait qu'à vivre heureuse avec les miens.
Morine, c'est moi.
Dix ans plus tôt, je convolais en juste noces avec Brice, mon amour d'Université.
Nous étions un jeune couple, beau qui faisait des envieux.
Je nageais carrément dans l'euphorie à nos débuts. J'avais pu bâtir cette famille que je désirais depuis si longtemps.
Même s'il arrivait des moments où j'avais un pincement de regret,de doute, je rejetais tout en me rappelant qu'avoir une famille était la chose que j'avais toujours désirée.
La famille était sacrée.
J'aimais mon mari et il m'aimait aussi.
Issue d'une famille monoparentale, j'avais très tôt décidé de me marier et de fonder ma propre famille.
Je voulais que mes enfants grandissent avec leurs deux parents.
J'eus cette grâce de tomber sur celui qui allait devenir l'amour de ma vie : Brice !
Entre lui et moi, les choses n'étaient pas censées aller si loin. Même si nous étions différents, dès notre première rencontre, je compris qu'il était l'homme de ma vie.
Brice était ce gars grand, séduisant qui attirait les filles malgré lui. Et il adorait les fêtes alors que j'étais toujours recroquevillée dans ma coquille.
Il avait la possibilité d'avoir n'importe quelle femme mais, il me choisit. Ne vous trompez pas, je ne suis pas si moche à regarder mais je n'étais pas exactement ce genre de fille qu'on se serait attendu qu'il épouse.
Pragmatique, la tête sur les épaules, je découvris très vite que mon mari n'était pas celui qu'il présentait aux yeux du monde.
Il restait un éternel enfant dans le corps d'un adulte.
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Je devais à chaque fois me battre pour que ma famille ne manque de rien.
Ayant trouvé un poste de secrétaire après mes études, je devais trimer pour enchaîner un deuxième boulot de caissière afin de payer nos factures. Brice changeait les boulots comme on change les chemises.
À chaque fois, il me faisait comprendre qu'il n'avait pas trouvé sa voie.
_Mais tu disais que tu aimes la peinture pourtant..
Lui faisais je remarquer ce jour là alors qu'il venait une fois de plus de me signifier son renvoi.
_Morine, ça te dirait toi de passer la journée à humer l'odeur de la peinture ?
_Si on est peintre, c'est obligé, tu ne trouves pas ?
Il ne releva pas mon ironie mais conclut avec un:
_Je change de boulot
C'était toujours ainsi. Brice changeait le travail tous les trois mois. Et entre ces mois, il trouvait toujours un moyen de dilapider le peu d'argent qu'il avait gagné en jeu de hasard, sans compter celui qu'il "m'empruntait" .
Vous vous demandez pourquoi je ne le quittais pas ?
Il était mon mari et le père de mes enfants. Nous en avions deux : Alice neuf ans et son frère Siaka qui avait deux de moins.
Mes enfants étaient ce que j'avais de plus précieux au monde
J'étais prête à tout pour assurer leur équilibre, quitte à continuer à vivre avec un homme qui refusait de grandir.
Je n'étais pas du genre à lâcher prise ou à m'avouer vaincue à la première difficulté. Pour moi, Brice pouvait encore changer et je me devais de l'emmener à ce changement.
Et puis, c'était mal vu autour de moi une femme qui divorce. Qui m'aurait acceptée avec deux enfants ?
Ce n'était pas l'avis de ma meilleure amie Julie qui me disait à chaque rencontre.
_Morine, que fais-tu avec ce mec ? Sérieux ! Il est plus un boulet qu'un mari pour toi. J'assure le procès gratos.
_Oh non Julie, tu ne peux pas comprendre. Tu n'es pas mariée !
_Dieu m'en préserve. Vue ta condition, je n'ai rien perdu
_ Julie !!!
_Quoi ? Tu n'es pas mariée. Tu as trois enfants. Brice est l'aîné. Je te demande de lui accorder son indépendance. Qu'il vole de ses propres ailes. Tu l'as toujours trop couvé comme un bébé. Et puis j'ai une autre idée..
_ Quoi ?
Demandai je d'un ton plus acide . Je me gardais bien de raconter ma vie privée à mon amie. Ce qu'elle savait, elle l'avait remarqué elle-même. Brice ne se gênait pas pour afficher son irresponsabilité même face à mes amis.
Julie savait même sans me l'avoir demandé que mon mari était loin d'être un homme bien.
_... Et si tu le remettais tout simplement à sa mère pour qu'elle termine son éducation ?
Termina Julie comme si elle venait de trouver l'idée lumineuse du siècle.
Je préférais ne plus rien dire en ce moment là.
Brice commençait à tirer un peu plus sur la corde.
Le mois dernier, il avait dépensé toutes les économies que je mettais de côté pour les activités des enfants, pour payer la dette d'un jeu.
Le mois d'avant, c'est l'argent du loyer qui avait mystérieusement disparu.
À chaque fois que je le confrontais, il me disait toujours qu'il allait devenir riche un jour.
_Je te payerai le monde mon amour. Je te donnerai les étoiles bébé.
_Ce que je te demande est de donner le nécessaire à ta famille pour vivre Brice. Laisse les étoiles là où elles sont.
_Tu ne crois pas en moi Morine, femme de peu de foi. Je serai milliardaire pour te rendre heureuse.
_Oh non. Je n'ai pas épousé un milliardaire mais toi. Trouve toi un vrai boulot et laisse le jeu.
_Le femmes sont têtues...
C'était lui le têtu mais refusait de l'admettre.
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J'avais bien essayé tant bien que mal de faire entendre raison à ma mari. Mais je finis par jeter l'éponge un jour. On ne peut pas sauver quelqu'un contre lui-même.
Il me restait à me concentrer à l'éducation de mes enfants en essayant de me convaincre qu'on formait encore une famille.
Ce qui m'importait le plus était l'équilibre de mes enfants. Car malgré tout, Brice restait un bon père.
Il les aimait beaucoup et passait du temps avec eux lorsqu'il n'était pas dans ses jeux.
_C'est normal. C'est un bébé comme eux
C'est sa catégorie là-bas.
Me disait Julie lorsque j'essayais de lui faire comprendre que mon mari était un père merveilleux.
_Julie, je ne sais pas quel est ton problème mais laisse Brice tranquille. Ce n'est pas toi qui l'a épousé.
_Je m'inquiète pour toi Morine. Même aveugle et sourde muette, je n'epouserai pas ton Brice.
_Tu n'as pas à le faire. Je suis une grande fille moi.
_On ne dirait pas certains jours
_Julie !!!
_Regarde toi, à peine trente ans et tu en parais déjà cinquante avec les rides partout partout. Tu ressembles à ma grand-mère !
_Oh non ! Tu exagères !
Mon amie n'avait pas tort même si elle exagérait. J'étais si fatiguée par la vie. Mes traits étaient tirés, des poches et des cernes qui ne disparaissaient plus. J'avais l'air d'avoir dix ans de plus. Je m'étais défraîchie au fil des années .
Une vie d'inquiétude et de peur constantes ne m'avait pas épargnée.
Ce n'était pas pour ça que j'allais céder à l'injonction de Julie qui n'avait aucune responsabilité. Elle était avocate, belle et si bien mise.
À chaque fois que nous étions ensemble, on croyait que j'étais son aînée alors qu'elle avait trois ans de plus que moi.
Elle ne s'était jamais mariée et n'était pas prête à le faire en me voyant, disait elle.
Je savais que mon amie avait mes intérêts à cœur, mais certains jours, je la détestais d'être la femme que je ne serai jamais.
La vie pouvait nous paraître injuste lorsque nous ne parvenions pas à obtenir ce que nous désirions si ardemment.
Tout ce que je voulais, c'était d'un mari présent et responsable.
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Et dire que des années plus tôt à l'Université,il y avait un mec qui en pinçait pour moi et était prêt à mourir littéralement pour mes beaux yeux .
C'était un petit gars dégringalé, chétif, qui donnait l'impression que le moindre souffle de vent pouvait le faire s'envoler.
Je ne l'aurais jamais remarqué si Brice ne m'en avait pas fait la remarque un jour.
_Tiens Morine, tu vois ce mec là-bas qui ressemble à un balai oublié par une sorcière ? Il en pince pour toi. Il n'y a personne pour lui dire que tu es inaccessible ?
Surprise, je m'étais retournée et mes yeux avaient plongé dans deux lacs noirs magnifiques qui semblaient porter tous les problèmes du monde. Malgré les grosses lunettes qui lui mangeaient le visage, je pouvais lire dans son regard vide.
Ce n'était pas tant son apparence physique d'extrême maigreur qui m'avait interpellée mais son regard si triste et mort. Il détourna vite le regard et s'en alla en courant, honteux.
Il me faisait de la peine.
_C'est qui ?
Réussis je à demander à Brice plus tard.
_C'est personne. Il est insignifiant !
Je ne sus jamais qui il était. Je le revis encore une ou deux fois mais à chaque fois, il évitait mon regard. Sans savoir pourquoi, je voulus lui parler. Je ne le pus malheureusement pas, occupée à organiser mes fiançailles avec Brice.
Cette histoire et plusieurs autres anecdotes qui suivirent me revenaient de temps à autre à la mémoire. Mais je me disais que je n'avais qu'à assumer mon choix jusqu'au bout. J'aurais bien aimé savoir ce qu' était devenu ce garçon maigre comme un clou et moche.
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Je revins ce soir là à la maison en courant comme d'habitude. J'avais terminé tard au restaurant. Au lieu de deux boulots, il m'en fallait désormais trois si je voulais tenir le cap. Alice avait besoin d'un nouvel équipement pour son cours de danse, Siaka de tennis pour son football, et il me fallait aussi l'inscrire au cours de natation. Il y tenait vraiment. Je n'avais pas eu le courage de lui annoncer que je n'avais pas assez d'argent pour payer la section.
Il y avait tellement de factures impayées qui attendaient à la maison également. Si rien n'était fait, l'électricité allait être coupée, l'eau courante aussi.
Je devais déjà rassembler l'argent pour payer le loyer. Et que dire de la table que je devais garnir.
J'avais toujours cette sensation de m'épuiser malgré tous mes efforts.
À chaque fois que j'essayais de sortir la tête de l'eau, il y avait toujours un élément perturbateur qui vénait tout gâcher.
J'aurais probablement tout abandonné et lâché depuis longtemps s'il n'y avait pas eu mes enfants.
Mais je devais tenir bon.
J'avais cet espoir que tout allait s'arranger un jour.
Lorsque je poussai la porte de la cuisine, je compris que quelque chose clochait.
La lampe était allumée. J'avais pourtant demandé aux enfants de l'éteindre avant de se coucher pour économiser l'énergie.
La pièce n'était pas vide.
Brice s'y trouvait, une bouteille de whisky en main.
Il sursauta à ma vue. Il était déjà minuit.
_Brice ! Que fais-tu debout si tard ?
Ces derniers jours, il était insaisissable. Je le voyais entre deux portes. C'était comme si je vivais avec un fantôme.
_Je suis chez moi
Répondit-il pour toute réponse. Sa voix pâteuse me fit comprendre que ce n'était pas la première bouteille.
J'étais trop épuisée pour entamer une énième discussion. Il me fallait prendre une douche et me coucher.
_Les enfants sont endormis ?
A cette heure ci, c'était évident. Mais il me fallait dire quelque chose pour combler le silence gênant entre nous.
_Il y a un souci Morine !
Brice venait de déposer sa bouteille d'un geste brusque sur la table. Je sursautai malgré moi.
_Quoi ? Tu es malade ?
C'était la seule explication à sa mine bizarre.
_Morine, je ne sais pas comment t'annoncer ça. Je suis désolé. Tu sais que j'ai toujours voulu le meilleur pour toi n'est-ce pas coucou ? Tu sais que tout ce que je désire c'est ton bonheur ? Je t'aime avec les enfants et...
_Brice, arrête moi ce charabia et crache le morceau
J'avais adopté ce ton sévère que j'utilisais parfois avec les enfants quand ils avaient commis une bêtise.
_Je...
_Parle. Je n'ai pas que ça à faire. Je dois me lever à cinq heures pour commencer ma journée et...
_... J'ai perdu aux cartes et c'est toi que j'avais mise comme garantie...
_... Je dois commencer mon premier boulot à six heures et.... Quoi.. Quoi... Quoi...?
Je venais de me rendre compte qu'il m'avait dit quelque chose.
_J'ai perdu aux cartes Morine et je t'ai prêtée pour six mois ! C'est une très grosse somme, sinon je risque la prison à vie.
Je restai stomaquée pendant quelques secondes.
_Ça veut exactement dire quoi " prêté"?????
_Je t'ai donnée en échange pour éponger ma dette. Mais rassure toi, c'est seulement pour six mois, il a promis qu'il va te rendre à moi. Ça va aller. Demain je cherche le travail. Je te jure.
Heureusement qu'il yavait une chaise derrière moi où je m'affalai comme un sac de macabo.
Qu'est-ce que Brice avait encore inventé ?
Il m'avait vendue pour six mois ?
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Photo d'illustration :