02/03/2020
Godwill GIN : D’Oku à Dschang pour fuir la guerre
Texte publié pour la 1ere fois le 26 / 02 / 2019
Il voulait continuer de vivre dans son « Oku » natal. Godwill Gin, sur sa moto, parcourt désormais les artères de la ville de Dschang et des campagnes qui l’environnent. Il a appris, en trois mois, à connaître cette cité universitaire qui lui sert de refuge. Après tout, a-t-il le choix ? Faire le « bendskin » est la seule option qui se soit présentée à lui après qu’il ait débarqué dans cette commune sans jamais avoir vécu dans un environnement francophone. C’était à la fin du mois novembre 2018. Il a fui Oku pour se donner une chance de réussir dans la vie.
Au moment où la crise anglophone prend un virage violent, Godwill, 21 ans, est élève en lower sixth à Oku, arrondissement du département du Bui, dans la région anglophone du Nord-Ouest. Dès le début des hostilités, un groupe se revendiquant des « Ambazonia Defence Forces » se crée dans la ville. « No school », voilà leur mot d’ordre. Godwill Gin aide alors son père dans les plantations familiales. Ce sera une année scolaire blanche. A l’approche du début de l’année scolaire 2018-2019 en cours, Godwill Gin croit en la relance de l’école à Oku. « Les sécessionnistes ont promis d’ouvrir leur part d’école. Et c’est là bas que je comptais étudier. Car, je ne voulais vraiment pas quitter ma localité sans savoir où j’allais », indique-t-il.
Finalement, au mois de septembre 2018, les ADF n’ont pas pu lancer l’école qu’elles projetaient à Oku. Elles n’ont pas non plus autorisé la réouverture des établissements créés par le gouvernement du Cameroun. Fatigué d’attendre, Godwill Gin quitte finalement ce qu’il considère comme le « chez lui » au mois de novembre. Pourquoi ne pas s’arrêter à Bamenda ? « Bamenda reste une ville de la zone concernée par ce conflit. Je voulais partir loin de tout ça », explique-t-il. Et pourquoi Dschang ? « Parce que c’est une ville proche du Nord-Ouest. Et en même temps, j’ai un ami qui a proposé de m’héberger », ajoute-il. Au moment de partir, le père de Godwill lui donne de l’argent pour s’acheter une moto, sachant qu’il serait difficile de rattraper l’année scolaire en cours.
Désormais à Dschang, Godwill vit avec son ami. Celui-ci est étudiant. « J’espère amasser suffisamment d’argent cette année pour reprendre mes études l’année prochaine. Il est hors de question que je m’arrête à ce stade », prévient-il, non sans revenir sur la vie qui rythmait son quotidien à Oku, cité connue pour son miel. « Depuis que le conflit a commencé, il y a des morts tout le temps. C’est très frustrant. Et pour survivre, il faut rester neutre. Parce que si les ADF savent que tu les as trahies, tu es un homme mort. Si l’armée te soupçonne d’appartenir au camp sécessionniste, tu ne subiras pas un sort différent. C’est une vie compliquée. Tu as des contrôles policiers. Et parfois, à moins d’un kilomètre, tu as aussi des contrôles des ADF ».
Que veulent les ADF ?
En cet après midi de février 2019, sous un soleil ardent, alors que nous arpentons les montagnes de Essang, village de Foréké-Dschang, je demande au jeune homme de 21 ans ce que veulent les Ambazonia Defence Forces d’après lui. Réponse spontanée : « They want independance of Ambazonia ». Traduction : « Ils veulent l’indépendance de l’Ambazonie ». La conversation continue en pidgin. Là où mon « pidgin » se montre défaillant, j’emprunte l’Anglais que je maitrise mieux.
Je pose une autre question que je sais complexe au départ : Et toi Godwill, dans ton cœur, tu te sens Camerounais ou Ambazonien ? Il observe 03 minutes de silence. L’atmosphère est lourde. Je ressens la suspicion en lui, d’autant plus qu’il ne m’a pas identifié au départ. Seul le moteur de l’engin qu’il conduit continue de faire du bruit au milieu de ces montagnes abruptes entourées de forêt. Puis, alors que je crois la question oubliée, mon interlocuteur me surprend avec la réponse : « Au fond, je suis un jeune qui veut juste gagner sa vie. Si c’est l’Ambazonie qui gagne, je serai ambazonien. Si c’est l’armée camerounaise qui l’emporte, je resterai camerounais. Le plus important est qu’un jour, je puisse revivre à Oku dans la quiétude comme par le passé. »
Après cette réponse, je relance immédiatement Godwill en Anglais. « For you, what can be the solution to get out of this crisis? ». Spontanément, il place un mot: « dialogue». Car, dit-il, et là je traduis, « chaque fois que l’armée tue un seul membre des ADF, cela produit l’effet inverse. Tu as dix nouveaux gars qui vont s’engager dans les rangs sécessionnistes. Et j’ai vu des dizaines de jeunes camarades s’y engager. » Au moment de se séparer, parce que je suis arrivé dans cette broussaille qui me sert de destination, je regarde mon interlocuteur et je lis une tristesse profonde dans son âme. « All this is sad », me lance-t-il avant de faire vrombir le moteur de son engin à deux roues pour reprendre la direction du centre ville de Dschang. Dschang qui lui donne la possibilité de survivre et d’espérer. Tout cela en attendant ce fameux « dialogue » qui mettra fin à cette crise qui endeuille des familles chaque jour.
Hindrich ASSONGO