07/09/2023
En Côte d’Ivoire, nouveau micmac électoral au Plateau
Fabrice Sawegnon conteste la réélection de Jacques Ehouo à la tête de la commune stratégique du
centre-ville d’Abidjan. Le candidat du RHDP a formulé un recours devant la Commission électorale
indépendante (CEI) le 6 septembre.
Par Aïssatou Diallo
Mis à jour le 7 septembre 2023 à 17:05
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7 septembre 2023 à 16:50
Ce samedi 2 septembre, en fin d’après-midi, ils sont encore quelques centaines d’électeurs massés devant les grilles de l’université Pigier, au Plateau, le quartier des affaires d’Abidjan. À une heure de la fermeture des bureaux de vote, officiellement prévue à 17 heures, la fatigue et la colère se lisent sur les visages. Certains d’entre eux sont arrivés très tôt le matin, mais les bureaux n’ont ouvert que dans l’après-midi. Résultat : une foule surchauffée, des policiers débordés et des agents électoraux sous pression.
Qu’est-ce qui a causé ce re**rd et provoqué cette pagaille ? Des tablettes défectueuses, des agent électoraux en re**rd, des soucis d’organisation ? « Un peu de tout cela », reconnaît à demi-mot un responsable de la sécurité.
À quelques centaines de mètres de là, même scénario dans un autre centre de vote : le lycée moderne du Plateau. Las de s’aligner en attendant leur tour, certains ont abandonné l’idée de voter pour se regrouper sous un hangar au milieu de la cour. Dans l’un des bureaux, un tableau affiche 15 h 30 comme heure de début du vote. Ici, le scrutin s’est poursuivi jusqu’aux environs de 22 heures pour respecter les neuf heures d’ouverture requises et permettre à ceux qui souhaitaient voter de le faire.
Tandis que le scrutin s’est globalement passé dans le calme à travers le pays, les images de bousculades et d’incidents au Plateau ont fait le tour de la toile. Cette petite commune du centre-ville d’Abidjan hautement stratégique abrite, outre le palais présidentiel, de nombreux ministères, sièges d’institutions et banques.
Cette année, parmi les candidats à sa mairie figuraient le maire sortant, Jacques Ehouo, du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Fabrice Sawegnon, du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), ou encore Florent Guy Monnet du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI). Entre les deux premiers, cette élection avait des allures de match retour.
Les deux hommes s’étaient en effet affrontés aux municipales de 2018. À l’époque, dans un contexte de refus du PDCI d’intégrer le RHDP, le Plateau avait cristallisé les tensions. Une crise postélectorale qui s’était finalement soldée par la victoire de Jacques Ehouo. Plus t**d, lors des législatives de mars 2021, Jacques Ehouo l’avait également emporté face au candidat du RHDP, Dramane Ouattara. Ce dernier avait félicité au téléphone son « jeune frère » avant même l’annonce officielle des résultats.
À l’issue des municipales de 2023, le Plateau pourrait de nouveau traverser des turbulences. Selon les résultats publiés le 4 septembre par la Commission électorale indépendante (CEI), le maire sortant l’emporte avec 59,3 % des suffrages exprimés, avec un taux de participation de moins de 30 %. Son adversaire, Fabrice Sawegnon n’a récolté que 31,51 %. Loin derrière, Florent Guy Monnet totalise 7,87 %.
Le même jour, le candidat du RHDP a annoncé sur sa page Facebook qu’il utiliserait les voies légales de contestation. « Ce qui s’est passé au Plateau samedi était un simulacre d’élection avec une piètre organisation », affirme-t-il. Et d’énumérer, entre autres, « le déficit d’agents électoraux », « le non affichage des listes », « l’absence de matériel » ou encore des « bourrages d’urnes ». Selon le candidat malheureux, entre « 25 et 30 % des bureaux de vote » seraient concernés. Autant de raisons qui l’ont poussé à déposer un recours auprès de la CEI
« Il s’agit d’un chaos électoral dûment orchestré pour favoriser une victoire déloyale grâce à un système de triche bien huilé avec des complicités internes à la CEI. Nous demandons justice pour les populations du Plateau et pour les votants. Le scrutin doit être purement et simplement repris avec une organisation transparente et en toute sécurité », insiste Sawegnon. À Abidjan, deux autres candidats du RHDP ont annoncé qu’ils feront des recours : Éric Taba à Cocody et Laurent Tchagba à Marcory.
Contacté, Jacques Ehouo n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Le soir de l’élection, lors d’un entretien accordé à une chaîne de télévision locale, le président de la CEI, Kuibiert Coulibaly, avait pour sa part reconnu des difficultés au Plateau. « Certains de nos commissaires désignés par les partis politiques pour les commissions locales au Plateau ont pris l’initiative, bien qu’ayant reçu le matériel, de ne pas venir. Ils n’ont pas ouvert les bureaux à l’heure. Ils arguent qu’ils n’ont pas reçu le matériel, alors que nous avons les bordereaux de livraison » attestant le contraire, a-t-il déclaré.
« Renseignement pris, nous avons constaté que certains d’entre eux avaient été circonvenus, c’est-à-dire soudoyés […] Au Plateau, ils ont considéré qu’il y avait deux grandes zones, chacune acquise à un candidat. Ce faisant, l’un des candidats a eu envie de soudoyer les commissaires de l’autre zone pour qu’il n’y ait pas d’élection », a-t-il ajouté, sans préciser lequel des deux candidats était impliqué.
À en croire le président de la CEI, ces incidents ont été résolus et le vote a donc pu avoir lieu au Plateau. Il a également assuré que deux commissaires avaient été arrêtés. Selon le code électoral, Jacques Ehouo et ses conseillers ont désormais quinze jours pour « présenter leur défense ». Les dossiers de réclamation seront ensuite transmis au Conseil d’État par la CEI. Cette institution, qui est compétente en matière de contentieux électoraux aux conseils municipaux, aura ensuite un délai d’un mois à compter de sa saisine pour statuer.