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TRIBUne des Jeunes cinéphiles La TJC tient à encourager les jeunes à réfléchir sur les films qu’ils découvrent et à rédiger leurs impressions dans une forme adaptée au web 2.0

22/07/2024

NIFFF (Neuchâtel International Fantastic Film Festival) 2024 – Un festival qui dépasse les apparences

Le NIFFF (Neuchâtel International Fantastic Film Festival) a célébré sa vingt-troisième édition cette année. Ce sont bien les œuvres horrifiques ou les slashers qui viennent en premier à l’esprit quand les gens pensent au festival. Mais la programmation 2024 a prouvé une fois de plus que le cinéma fantastique est un genre riche et diversifié, capable de captiver et de surprendre.
Le festival neuchâtelois se démarque tout d’abord par son ambiance très particulière. Les spectateurs adeptes font salle comble pour former un groupe malgré leurs différences. Tous semblent unis lors des séances pour lancer en chœur des parodies de slogans durant les publicités. Le public est ouvert à la discussion et au partage jusque dans les frissons de l’angoisse. La section « Ultra movies » montre des films déjantés dans leur forme et qui poussent très loin les limites du gore et du dégoût. Ce festival éclectique s’ouvre sur le monde en créant des ponts entre le cinéma suisse et asiatique pour les festivaliers friands de découvrir la richesse des films d’action issus de l’autre côté du globe.
La catégorie « Third Kind » compte en son sein les films à la frontière entre différents genres et incarne le meilleur exemple de la manière dont le NIFFF se réinvente et s’ouvre à de nouveaux horizons. La programmation propose des films qui oscillent entre horreur et humour noir, avec par exemple Les pistolets en plastique (Jean-Christophe Meurisse, 2024), qui n’a pas nécessairement trait au fantastique, mais qui plaît aux festivaliers par son ton toujours sur le fil du rasoir. Ils retrouvent d’ailleurs également une touche comique dans de nombreux autres films comme L’empire (Bruno Dumont, 2024), The Paragon (Michael Duignan, 2023) Miséricorde (Alain Guiraudie, 2024) pour ne pas en citer d’autres.
La programmation s’élargit aussi pour attirer des spectateurs de tout âge. Par exemple, lors de la projection du film Cocoon (Ron Howard, 1985), le public a pu noter la présence de nombreuses têtes grises dans la salle. Cette année, l’association Pro Senectute a encouragé de nombreux seniors à venir assister à différentes projections, créant un pont rare entre le fantastique et le troisième âge. Cette initiative montre que le NIFFF est accessible et inclusif, attirant un public varié et brisant les stéréotypes associés aux films fantastiques et d’horreur. A l’image de sa grande variété de films provenant des cinq continents et témoignant de son ouverture à différentes cultures, le NIFFF adopte une définition inclusive du cinéma fantastique en participant à la redéfinition du genre. Alors que cette année le festival se penchait sur la question des inégalités sociales, l’année précédente il dédiait la sélection « Scream Q***r » à la représentation des communautés LGBTIQ+ dans le cinéma fantastique.
Le NIFFF accueille également de très jeunes réalisateurs et, à ce titre, peut servir de tremplin pour les futurs talents montant du cinéma fantastique. Cette année, le palmarès était à la hauteur des attentes. Parmi les lauréats, trois femmes se sont démarquées en tant que réalisatrices de longs-métrages. Tout d’abord, Thea Hvistendahl pour Handling the undead, son premier long-métrage, récompensé par le jury international avec le prix H.R. Giger (« Narcisse » award for best feature film). Shalini Ushadevi, pour son film Ennennum, a reçu le prix de la critique internationale. Jane Schoenbrun, pour I saw the TV glow, s’est vue attribuer le prix du meilleur production design. Le prix de la jeunesse fut quant à lui décerné à Ulaa Salim pour son long-métrage Eternal. Du côté des courts métrages, le cinéphile peut retenir Terra Mater de Kantarama Gahigiri lauréat dans la catégorie des courts métrages suisses. Pour finir dans la compétition asiatique, le prix du public est revenu à Soi Cheang pour son film Twilight of the warriors : walled in.
En somme, le NIFFF 2024 a su offrir une programmation riche et variée, mettant en lumière des œuvres audacieuses et innovantes. Chacun y trouve son compte, entre le craintif cynique qui préfère les comédies noires ou le fan avide de sensations horrifiques. Il faut s’attendre à jouer des coudes pour une expérience commune de cinéma à en suer du derrière. Il ne reste qu’à espérer que le festival neuchâtelois continue de s’ouvrir à de nouvelles perspectives, permettant aux festivaliers de continuer d’être surpris et séduits par des films qui ne sortiront peut-être jamais dans nos salles obscures. Il ne reste plus qu’à attendre avec impatience la programmation de l’année 2025.

22/07/2024

NIFFF (Neuchâtel International Fantastic Film Festival) 2024 – Des corps pour décors ou des films qui ont de la gu**le

Le festival fantastique neuchâtelois a révélé une sélection de films aux castings des plus captivants, réunissant des comédiennes et des comédiens dont les performances éblouissantes et fascinantes ont su captiver l’auditoire. Chaque visage, chaque corps, pour la plupart encore inconnu du grand public, transcende l’écran, exprimant des émotions et des récits intérieurs avec une intensité remarquable. Pour n’en citer que quelques-uns : Théo Cholbi aux côtés de Lila Gueneau et Erwan Kepoa Falé (Eat the Night), Ariella Mastroianni (Gazer), Félix Kysyl (Miséricorde, photo ci-dessus), les acteurs et les actrices non professionnels (Bernard Pruvost, Julien Manier, Philippe Jore) dans L’Empire (2024) ou encore Vangelis Mourikis (Arcadia).
Le processus de casting joue un rôle primordial, mettant en lumière des physionomies et des présences singulières qui offrent une vision rafraîchissante et essentielle de la diversité humaine. En valorisant des corps et des visages atypiques, souvent absents des représentations cinématographiques traditionnelles, le cinéma souligne l’importance de cette inclusion, célébrant la richesse et la complexité de notre société. D’un point de vue cinématographique, les castings atypiques rendent les films plus vivants et ces visages inconnus sont magnétiques et racontent une histoire au sein même d’une attitude ou d’une posture. Un réalisateur comme Alain Guiraudie en est sûrement le maître, car il a su tout au long de sa carrière faire rencontrer ses personnages imaginés aux humains qui les interprètent, pour leur donner une originalité que personne n’aurait pu écrire.
La plupart de ses oeuvres osent franchir la frontière de l’intime et se risquent à représenter des corps nus, mais il est intéressant de noter que les corps masculins ont tendance à provoquer davantage le rire que ceux des femmes. Guiraudie filme avec une frontalité qui les rend banals et amusants sans être moqueur, comme dans L’inconnu du lac ou Viens je t’emmène. Il n’hésite pas à transgresser des tabous en plaçant des gags comme dans Miséricorde, dans lequel un prêtre nu se retourne et dévoile un long pénis en érection. Dans Eat the Night (Caroline Poggi, Jonathan Vinel), la sexualité homosexuelle est filmée sans pudeur, avec des angles de caméra peu gracieux et un montage haché qui transmet une certaine bestialité dans le rapport. Dans L’Empire de Bruno Dumont, les scènes de sexes sont toutes filmées avec le parti pris d’être en plan très large, mais les personnages féminins ont toute la même pulsion de soumission envers un des protagonistes, qui ne possède pas une once de charme. Ces scènes sont d’une gratuité surprenante et nuisent à l’adhésion au film. Dans Arcadia, réalisé par Yorgos Zois, Angeliki Papoulia incarne Katherina, un fantôme qui pénètre dans un bar où tous les autres spectres sont dénudés. Son orgasme est filmé dans une lueur froide et douce, cadre serré sur son visage, pour capturer ses émotions et son plaisir sans la sexualiser ni la rendre désirable.
Bien que le corps des femmes soit moins érotisé au cinéma, il est intéressant de noter que celui des hommes est plus facilement abordé frontalement. Cela s’explique pour des raisons culturelles, dans les sociétés où les hommes sont souvent représentés dans des rôles comiques, et l’humour physique masculin est plus accepté. Les hommes sont parfois encouragés à utiliser leur corps de manière exagérée et comique. Cela inclut souvent plus de slapstick et de gags visuels, tandis que l’humour féminin est davantage basé sur les mots et les situations, accentuant cette différence. Historiquement, les médias ont mis en avant des personnages masculins dans des situations humoristiques, tandis que les femmes étaient souvent représentées de manière à valoriser leur beauté, limitant ainsi les occasions de comédie physique. De plus, la société tolère et attend davantage des hommes qu’ils soient maladroits ou exubérants physiquement, ce qui est perçu comme drôle, contrairement aux attentes de retenue et d’élégance imposées aux femmes.
Dans les films fantastiques du NIFFF, la représentation du viol est abordée de manière variée, mais souvent problématique, comme le montrent les exemples de Sayara (Can Evrenol) et Kryptic (Kourtney Roy). Dans Sayara, le viol est laissé hors-champ, induisant une profonde angoisse grâce à une violence suggérée. Cependant, la maladresse de la réalisation engendre un propos misogyne, amplifiant le malaise tout au long du film. Dans Kryptic, le viol est à peine effleuré, laissant le spectateur en suspens face à une représentation partielle vite oubliée par la protagoniste. Cette approche superficielle manque de pertinence et d’impact, rendant la présence de cette scène injustifiée. En revanche, Animale, premier long-métrage d’Emma Benestan, traite le traumatisme du viol à travers le prisme du genre, en utilisant la transformation de son personnage en taureau comme métaphore pour révéler ses dimensions profondes.
Les corps continuent de fasciner, devenant des paysages captivants pour des caméras curieuses de dépeindre des histoires nouvelles. Cependant, il est évident que les réalisateurs adoptent des approches variées quant à la représentation de sujets délicats comme le viol. Certains semblent montrer peu de réflexion quant à la responsabilité éthique de filmer de tels actes, tandis que d’autres offrent des perspectives véritablement stimulantes et réfléchies. Cette diversité dans le traitement cinématographique des corps et des thèmes intimes souligne à la fois les possibilités créatives et les défis éthiques auxquels sont confrontés les artistes du cinéma contemporain.

Matteo Friberg, 23 ans

22/07/2024

NIFFF (Neuchâtel International Fantastic Film Festival) 2024 – L’individualisme contre la collectivité

Dans le monde occidental contemporain, le débat entre individualisme et collectivité semble toujours plus pencher en faveur de l’égoïsme. Les individus cèdent à une philosophie égoïste afin de se protéger de la cruauté qui fait le monde. Néanmoins, l’individualisme, bien qu’étant un défaut, n’est pas entièrement négatif, car il permet de donner une place au développement personnel.
Dans le quotidien, chaque individu doit perpétuellement faire face à des choix entre intérêts personnels et le bien commun. Ces décisions, prises de façon inconsciente, sont une part de la vie. Elles ont trait à tous les domaines de l’existence humaine comme le respect, l’égalité ou encore l’écologie.
À l’occasion du NIFFF 2024, cette thématique a été mise en avant dans deux films : Eternal d’Ulaa Salim et Snowpiercer de B**g Joon-Ho. Ces films démontrent la façon dont les choix individuels peuvent influer sur la collectivité et la manière dont ils peuvent être liés à des questions plus globales comme l’écologie ou encore la survie de l’humanité.
Dans la situation actuelle de crise climatique, deux réactions s’opposent parmi les plus jeunes. D’un côté, il y a ceux qui, comme Elias dans Eternal, acceptent de faire un sacrifice et de mettre leur vie de côté afin de se consacrer à la cause. De l’autre ceux qui, à l’image d’Anita (dans Eternal également), adoptent des comportements prudents et respectueux, mais ne se dévouent pas et ne sortent pas de leur zone de confort. Effectivement, Elias incarne la lutte pour le climat, prêt à sacrifier ses propres intérêts pour le bien de la planète. Son dévouement va plus loin que la simple prudence quotidienne pour la préservation de l’environnement. Il dédie son temps et son énergie à la cause climatique. Elias est le représentant de ceux qui voient la crise climatique comme une urgence qui nécessite des actions radicales et immédiates.
Anita, pour sa part, est le symbole de ceux qui font attention à leur impact environnemental au quotidien, mais qui ne désirent pas s’engager, dans des manifestations par exemple. Ce type de personne fera des choix de vie durables, comme une consommation de viande réduite ou du recyclage, mais sa lutte ne bousculera pas son confort coutumier.
Snowpiercer aborde la question de l’individualité par une voie complètement différente. En effet, le train symbolise la société et ses différentes couches. Plus les wagons du train sont reculés, plus les personnes qui s’y trouvent sont marginalisées. Ils représentent tous ceux que la société rejette, comme les minorités par exemple. À travers la montée dans le train, le symbole est fort. La majorité de l’entourage de Curtis se trouve d’ailleurs arrêtée à un moment, symbole de la difficulté qu’il y a, à monter à travers les strates de la société, malgré tous les efforts. Cette situation est la plupart du temps, la conséquence d’une société ou l’individualisme induit l’inégalité. D’ailleurs dans le film, Curtis fait un choix pour la collectivité en cherchant à lancer une révolution, symbole même de la collectivité.
Cependant, malgré son arrivée à la tête du train, le protagoniste découvre que s’il est facile de se révolter, il est plus que complexe de faire changer les régimes de façon pérenne. À l’image par exemple de la double révolution bolchévique de 1917 qui ne parvint que bien plus t**d à imposer son nouveau régime. C’est le même problème qui se présenta aux Français à la suite de la révolution de 1789. Malgré la déchéance de plusieurs régimes autoritaires, l’instauration de nouveaux systèmes politiques a entraîné des périodes de troubles et de violences, empêchant parfois la mise en place du régime voulu par la révolution. Ces deux exemples montrent bien la difficulté que Curtis doit affronter une fois à la tête du train. Il ne suffit pas de mettre fin à un régime oppressif pour instaurer un système politique plus juste. Pour parvenir à un régime pérenne, il faut une gestion prudente des tensions sociales, politiques et économiques, il faut un nouveau régime fort dans ses valeurs démocratiques et « droit-de-l’hommistes » et cela tient presque de l’utopie.
Finalement, bien que les deux réalisateurs soulèvent la même réflexion, en lien avec le positionnement de l’individu dans la collectivité, les réponses qu’ils apportent divergent totalement. Snowpiercer met en avant la collectivité, Eternal démontre que consacrer sa vie à se dévouer pour les autres ne rendra pas les gens heureux.
En conclusion, quelles que soient les directions prises par les réalisateurs, ces films rappellent les valeurs de la collectivité tout autant que l’importance d’être en adéquation avec ses décisions et ses envies pour contrer tous les potentiels regrets et remords.

Amandine Rochat, 19 ans

22/07/2024

NIFFF (Neuchâtel International Fantastic Film Festival) 2024 – Lutte de classe en première classe

Les inégalités sociales et la montée en puissance des élites continuent de marquer profondément le paysage mondial. Partout sur la planète, les écarts de richesse se creusent, exacerbant les tensions entre les classes sociales. Des mouvements de protestation émergent témoignant de la frustration croissante des populations marginalisées et des classes moyennes. Les crises économiques successives, la précarisation de l’emploi et l’accès inégal aux ressources renforcent ce sentiment d’injustice, en parallèle, les élites économiques et politiques semblent de plus en plus déconnectées de la réalité.
Snowpiercer et American Psycho, bien qu’ils aient treize ans d’écart, symbolisent tous les deux cette situation encore actuelle. Ils étaient d’ailleurs regroupés tous les deux cette année dans la section « Eat the rich » du NIFFF, dédiée à la représentation des élites au cinéma. Tout comme Aelita, Ghost in the shell et Midsommar, qui abordent tous différemment la thématique, mais se rejoignent quant à la vision critique et souvent dystopique de la société.
En effet, la société moderne illustre des disparités économiques croissantes et les tensions sociales qui en résultent. Les révoltes de classes inférieures pour renverser l’ordre sont emblématiques des mouvements sociaux contemporains, tels que les Gilets Jaunes en France ou les manifestations du Black Lives Matter aux États-Unis, où les populations marginalisées se lèvent contre les inégalités systémiques et le racisme continuel. Finalement, le message de ces deux œuvres est une allégorie de cette situation, toutes les deux représentent parfaitement la différence des classes sociales, tout comme les élites vivant à l’avant du train et les pauvres survivant dans des conditions misérables, les collègues de Patrick Bateman et lui-même vivent dans de luxueux appartements et fréquentent du beau monde tandis que les plus pauvres se trainent dans la rue.
Tout comme les habitants du train de Snowpiercer prennent le pouvoir et montent à l’avant, la population actuelle ne se tait plus. Elle sait se faire entendre et souhaite monter au pouvoir dans la société. Les citoyens d’aujourd’hui réclament de plus en plus de droits, les mouvements pour un salaire minimum décent, les revendications pour des conditions de travail équitable chez des géants comme Amazon et les débats sur la taxation des ultra-riches illustrent cette lutte incessante pour l’égalité et la justice sociale.
Au sein des deux œuvres, il est présenté une satire acerbe de la culture du paraître et de l’éthique des élites, dans une société obsédée par l’apparence et la consommation, la quête incessante de statut et de richesse. Tout comme dans l’œuvre de Miyazaki Le Voyage de Chihiro (2001), qui présentait une métaphore forte de la société de consommation, American Psycho joue sur les excès et l’obsession de l’apparence pour incarner la superficialité et le matérialisme de la société.
Ces œuvres mettent en lumière les disparités sociales, la montée des milliardaires et l’accroissement de leurs fortunes, souvent aux dépens des travailleurs ordinaires et cela exacerbe ces divisions. En effet, des personnalités comme Jeff Bezos ou Elon Musk qui accumulent des richesses colossales contrastent fortement avec les millions de travailleurs qui luttent pour joindre les deux bouts. Tout comme Wilford et les riches du train se prélassent à la piscine tandis que les plus pauvres luttent pour se nourrir et survivre, Patrick Bateman et ses amis boivent leur champagne dans les plus beaux restaurants du monde tandis que d’autres meurent de faim dans la rue juste devant.
De plus, ces élites ont souvent tendance à se protéger en se cachant derrière des barrières physiques et économiques, isolant leur personne et leur fortune du reste de la population qu’ils perçoivent comme une menace pour leur sécurité et leur richesse. Ce phénomène s’illustre parfaitement avec l’apparition et la prolifération des « gated communities ». Initialement répandues aux États-Unis, ces enclaves résidentielles ultras sécurisées se sont exportées à travers le monde, y compris la Suisse. Ce genre de quartier symbolise une nouvelle fois une société ou les élites préfèrent s’enfermer entre elles pour ne pas avoir à évoluer au sein d’une population qu’elles jugent inférieure. Tout comme dans Snowpiercer, où les élites ne quittent jamais leurs wagons de tête de peur des plus pauvres, qu’elles voient comme une réelle menace, les résidents des « gated communites » et ceux du train ont peur de ce que les classes populaires pourraient leur faire. Finalement, cette dynamique de peur est souvent un reflet de la conscience des élites quant aux injustices qu’elles perpétuent. En étant pleinement conscientes des inégalités et des conditions précaires dans lesquelles vivent les classes populaires, les élites peuvent craindre des représailles, ce qui les pousse à se protéger davantage, avec des murs ou avec des gardes entre les wagons.
A travers leur récit poignant et leur critique sociétale, Snowpiercer et American Psycho permettent une représentation des élites et des classes populaires tout à fait pertinente avec la société actuelle. Ces films rappellent que les inégalités sociales persistent à toutes les époques. En regroupant ces deux œuvres sous la bannière « Eat the rich », le NIFFF a mis l’accent sur la nécessaire critique de la concentration des richesses et du pouvoir. Ces films servent de miroir aux réalités actuelles, rappelant que la lutte des classes populaires pour une vie plus juste et équitable est loin d’être résolue. Le cinéma, en tant que reflet et critique de la société, continue de jouer un rôle crucial dans la mise en lumière de ces inégalités.

Morgane Longo, 19 ans

22/07/2024

NIFFF (Neuchâtel International Fantastic Film Festival) 2024 – La place des femmes dans le cinéma de genre

Le cinéma de genre est de plus en plus populaire, comme le montre le développement rapide du NIFFF qui centre la majorité de sa programmation autour de ce style de film. Pourtant, il est difficile à définir. Souvent associé au cinéma fantastique et d’horreur, genres les plus représentés au NIFFF, un parallèle plus négatif a également souvent été tiré avec le cinéma d’exploitation. Ce terme péjoratif désigne un type de film produit avec peu d’intérêt porté à la qualité du produit final, visant un bénéfice rapide avec un film racoleur. Cela a participé à la mauvaise réputation du cinéma de genre. En réalité, le terme de cinéma de genre s’est construit en opposition à un cinéma plus « traditionnel », sans désigner un style précis. Ce sont des films dérangeants, qui souvent montrent une violence physique ou psychologique, dépassant les limites de ce qui est considéré comme montrable à l’écran, et visant à briser les tabous du cinéma.
La place de la femme dans ce cinéma est définie par le fait qu’il s’agit d’un milieu majoritairement masculin, tant du côté de la production que de la consommation. Cela mène à des phénomènes comme celui du « regard masculin » (ou male gaze pour reprendre l’expression anglaise sans doute plus répandue). Ce concept désigne le fait que le regard masculin hétérosexuel est celui qui est imposé majoritairement dans la culture populaire. Le scénario comme la mise en scène guident le regard des spectateurs et spectatrices pour leur montrer des personnages masculins qui agissent et sont au centre de l’intrigue, et des personnages féminins qui sont des objets de désir, qui subissent ce regard sans avoir réellement leur mot à dire.
Un exemple de ce procédé est visible dans L’Empire (Bruno Dumont, 2024), présenté au NIFFF 2024. Dans ce film, les deux seuls personnages féminins importants sont constamment filmés en maillot de bain ou dénudés, ce qui n’est pas le cas de leur contrepartie masculine. Leur rôle décisionnel dans l’histoire est minime, toutes deux étant désespérément amoureuses du personnage masculin central et se contentant, pour une, de lui obéir, pour l’autre, de ne plus savoir comment agir, malgré le manque de respect flagrant qu’il montre envers elles. D’ailleurs, cet amour fou n’est expliqué par aucune scène de romance. Lors des scènes de sexe, ce sont les corps féminins qui sont filmés et montrés de manière racoleuse, non celui de l’homme. Dans ces moments, la caméra explicite parfaitement ce « regard masculin » présent dans tant d’œuvres de genre.
Le genre du slasher est aussi très représentatif de ce phénomène. Bien souvent, les victimes féminines sont objectifiées d’une manière que ne connaissent pas les personnages masculins. Lors des meurtres, elles sont bien souvent dénudées et sexualisées, et même la violence qu’elles subissent connaît ce traitement. Le meurtrier arrive toujours comme par hasard alors que la future victime est en train de se changer, de se laver ou de nager. C’est notamment souvent le cas dans la saga Halloween (John Carpenter, 1971).
Un autre procédé, lui originaire du monde du comics, est appelé « la femme dans le frigo », ou Women in Refrigerators pour reprendre l’expression consacrée la plus connue. Cette théorie est issue du comics Green Lantern #54 (Ron Marz, 1994), au cours duquel Kyle Rayner, le héros, rentre chez lui et réalise qu’un de ses ennemis a tué sa petite amie et l’a mise dans le réfrigérateur. Ce terme vise à désigner un procédé visant à faire souffrir, blesser ou tuer un personnage féminin dans le seul but de donner une motivation au héros masculin dans sa quête. Pour prendre un exemple récent, dans la série The Boys (Eric Kripke, 2019 — aujourd’hui), l’histoire est lancée par la mort violente de la petite amie du personnage principal. Et pour elle, il s’agit de son seul rôle dans l’intrigue…
Cela a d’ailleurs donné naissance à un sous-genre de film appelé le r**e and revenge, où après avoir été victime d’un viol, la femme décide de se venger elle-même, menant à un slasher où tous les hommes coupables sont traqués un à un. C’est notamment le synopsis du film français Revenge (Coralie Fargeat, 2017). Ce style de film vise à inverser cette tendance qu’ont longtemps eue les femmes au cinéma à subir les situations sans jamais pouvoir réagir elles-mêmes, devant laisser ce privilège au personnage masculin.
Un autre film qui repose sur cette mécanique, même s’il le cache durant une bonne partie de son récit, est Animale (Emma Benestan, 2024), également présenté au NIFFF cette année. Si le film laisse planer longtemps le doute sur l’identité du coupable du meurtre des différents hommes, il s’avère finalement que le personnage principal, Nejma (Oulaya Amamra), est en réalité la tueuse. A la suite d’un événement traumatique, elle se transforme en taureau certaines nuits. La particularité ici repose sur le fait que Nejma ne décide pas consciemment de se venger, elle a d’ailleurs occulté complètement ce qu’elle a subi, une réaction souvent réelle chez les victimes. Au lieu de motiver l’action d’un personnage masculin, le trauma révèle la souffrance de la femme, sa déshumanisation, le sentiment d’avoir été brisée. Il est important que des films comme Animale existent, que la souffrance des femmes soit montrée à l’écran, afin de rappeler que ces crimes sont une réalité et que les victimes vont passer des années à se reconstruire.
Plus généralement, la place de la femme dans le cinéma de genre évolue grandement ces dernières années. Le simple fait qu’il y ait de plus en plus de réalisatrices aux commandes de ces projets, et de femmes impliquées de manière générale, permet le développement de nouveaux discours. Le propos n’est pas de dire que l’utilisation de ces ressorts narratifs est foncièrement mauvaise, simplement de soulever que pendant longtemps, ils étaient utilisés sans plus de réflexion, car ils étaient vus comme la norme. En réfléchissant à ces procédés et en les comprenant, il devient possible de les utiliser pour raconter quelque chose, pour développer un récit. En 2024, le cinéma de genre a encore de beaux jours devant lui. Son évolution ces dernières années participe à donner espoir sur les œuvres qui apparaîtront à l’avenir.

Ludovic Solioz , 27 ans

22/07/2024

NIFFF (Neuchâtel International Fantastic Film Festival) 2024 – Du fantastique, vraiment ?

Au travers de sa programmation, le NIFFF sert de guide à son audience et la plonge dans le bizarre et vaste monde du cinéma fantastique. Ce genre cinématographique a pourtant une définition très large aux frontières nébuleuses, ce qui explique sans doute la grande variété de films proposés par le festival. Ce qui est majoritairement retenu de ces films, c’est qu’ils se caractérisent par l’intervention d’un élément surnaturel au sein d’un récit réaliste. Ce surnaturel est souvent incarné par un monstre comme dans In a violent nature ou Azrael et cette tradition remonte aux films expressionnistes allemands des années 1920, qui apportèrent au fantastique moult créatures comme le vampire, le zombi, la momie, le loup-garou qui se retrouvent de nos jours sous de nombreuses formes et remakes.
Ce n’est pas pour autant un élément constitutif du cinéma fantastique, qui englobe la science-fiction, tout le cinéma de l’étrange et la peur. Certains y incluront le merveilleux, ce qui est discutable puisque le surnaturel y est la norme comme dans Le magicien d’Oz. King Kong est donc un film fantastique par la nature extraordinaire de la bête qui fascine tout le monde alors que Star Wars et Le Seigneur des anneaux sont respectivement de la science-fiction et de la fantaisie, car chaque élément magique ou surnaturel s’explique dans les règles de l’univers, là où le fantastique laisse une part de mystère inexpliquée.
Le fantastique a toujours côtoyé d’autres genres cinématographiques comme l’horreur ou la comédie et c’est dû à l’ambiguïté qu’il entretient avec eux que le festival propose la section « Third Kind » dédiée aux œuvres sur le fil du rasoir. Ont-ils vraiment leur place ? Festival au fantastique pointilleux ou est-ce que n’importe quel film, sous couvert d’une certaine étrangeté, peut prendre place au NIFFF ?
Les pistolets en plastique de Jean-Christophe Meurisse (photo ci-dessus) est une comédie policière sympathique qui ne possède aucun élément surréaliste apparent. L’un des personnages centraux est un homme soupçonné d’avoir tué toute sa famille, mais n’est jamais vu en action. Une scène provoque l’étonnement, car un des personnages se fait transpercer les yeux, ce qui choque, mais reste plausible dans la diégèse et n’est donc pas surréaliste. Là où un lien peut se créer avec le fantastique serait le concept du gore, terme lancé en 1963 avec Blood Feast d’Heshell de Gordon Lewis. Pour une unique et courte séquence dans un long-métrage, le lien entre fantastique et Les pistolets en plastique est ténu.
Eat the night de Caroline Poggi et Jonathan Vinel est un thriller sombre qui explore la frontière entre le monde réel et le jeu vidéo. Il plonge son spectateur dans cet univers et exploite ce médium pour créer des scènes encore jamais vues au cinéma comme des cadavres d’avatars tombant du ciel (rappelant les chutes de grenouilles dans Magnolia de Paul Thomas Anderson). À l’instar de ce film, Eat the Night n’a rien de fantastique, car ses scènes de jeu vidéo s’expliquent de manière réaliste et ne surprennent pas les personnages.
Dans Miséricorde, d’Alain Guiraudie, des champignons poussent de manière surnaturelle à l’emplacement d’un cadavre, mais ce n’est qu’un détail. Ce thriller amusant se rapproche du fantastique au travers d’aspects plus subtils. D’abord par les comportements étranges des personnages comme le fils du défunt qui vient voir le héros principal au milieu de la nuit, assis à son chevet simplement pour lui dire qu’il va au boulot. Une tension palpable se tisse tout au long du film jusqu’à ce que ça dégénère pour finalement assister à son meurtre. Le montage renforce le sentiment que les personnages arrivent toujours mystiquement au bon endroit au bon moment, dans un effet comique, comme le prêtre qui surgit toujours en pleine forêt à côté du héros pour le tirer d’affaire. Tout cela pour dire que le film comporte des ressorts comiques plutôt que fantastiques.
Arcadia, réalisé par Yorgos Zois, réalisateur issu de la greek weird wave, possède un lien plus clair avec le fantastique. Le film parle de la difficulté d’accepter la mort d’un proche et dont l’âme reste sur Terre, incapable de partir sereinement. Le film assume ces fantômes que rien ne distingue hormis qu’aucun vivant ne leur adresse la parole. Cette manière de mettre en scène crée un jeu subtil avec le spectateur, dérouté pendant une bonne partie du métrage avant d’assembler les pièces du puzzle. Étant donné que le personnage principal découvre un phénomène surnaturel et surprenant, il admissible de dire que c’est un des rares films de la section à être réellement fantastique.
La plupart des films de la programmation « Third Kind » ne sont pas strictement fantastiques, bien qu’ils entretiennent une filiation avec des genres tels que la comédie ou le thriller. Ils explorent néanmoins des thématiques connues du fantastique comme la nuit, le sang et la tension autour d’un personnage menaçant. Il est intéressant d’avoir cette section, car elle permet de voir des films qui ne se revendiquent pas d’un genre spécifique, mais qui cherchent tout de même à explorer une étrangeté, que ce soit dans la thématique ou la mise en scène. Bien qu’ils soient tous très différents, quelques points communs se retrouvent entre tous : la comédie ou la violence. Deux sujets qui intéressent visiblement vivement l’équipe de programmation du festival.

Matteo Friberg, 23 ans

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