30/06/2021
PORTEE JURIDIQUE DE L'AUTORISATION DES POURSUITES OU D'ARRESTATION D'UN DÉPUTÉ OU SÉNATEUR EN RDC
L'actualité juridique en RDC est dominée par:
- le réquisitoire du procureur général près la cour constitutionnelle adressée au bureau du sénat pour lui demander l'autorisation de poursuivre le sénateur Matata Ponyo ;
- la lettre du président du sénat du 28 juin 2021 invitant le sénateur Matata Ponyo pour l'entendre sur les faits lui reprochés dans ce réquisitoire;
- la lettre réponse du sénateur du 29 juin 2021 demandant à se présenter au bureau le 4 juillet 2021 pour être entendu.
- la clôture de la session parlementaire au sénat intervenue depuis lundi 28 juin 2021.
Cette procédure est totalement contraire à la constitution de la République démocratique du Congo et laisse penser que la portée de l'autorisation de poursuite et/ou d'arrestation d'un député ou sénateur telle que prévue par la constitution n'est pas comprise par les hautes institutions de la République.
Pour commencer, il faut comprendre le sens et les nuances des autorisations que le sénat (ou l'assemblée nationale) ainsi que leurs bureaux respectifs doivent donner conformément à l'article 107 de la constitution.
En effet, l'art 107 alinéas 2 à 4 de constitution dispose clairement que : «aucun parlementaire ne peut, *en cours de sessions* , être poursuivi ou arrêté, sauf en cas de flagrant délit, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale ou du Sénat selon le cas. En dehors de sessions, aucun parlementaire ne peut être *arrêté* qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale ou du Bureau du Sénat, sauf en cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive. La détention ou la poursuite d’un parlementaire est suspendue si la Chambre dont il est membre le requiert. *La suspension ne peut excéder la durée de la session en
cours* ». (Cette disposition est reproduite dans les mêmes termes par l'article 73 de loi organique sur la cour de cassation)
Contrairement à la lecture biaisée faites par plusieurs juristes, il y a lieu de remarquer que c'est seulement pendant la session que l'autorisation des poursuites et/ou d'arrestation est demandée à la chambre. En dehors de session, c'est seulement l' ARRESTATION qui requiert l'autorisation du Bureau de la chambre et non les POURSUITES qui peuvent être engagées librement.
Tout juriste moyen sait que l'arrestation et les poursuites sont deux séries d'opérations différentes quoique complémentaires. L'arrestation suppose le placement de l'inculpé sous mandat d'amener, sous Mandat d'arrêt provisoire (MAP) et éventuellement en détention préventive (incarcération provisoire); mais les poursuites, au stade préliminaire, supposent l'ouverture du dossier penal, interrogatoire de l'inculpé au parquet, l'audition des témoins et les constatations...; et au sens proprement dit, les poursuites supposent la fixation par le parquet du dossier devant la juridiction compétente, l'instruction des faits devant le juge, la plaidoirie et la réquisition des peines par le ministère public.
En cas de poursuites, l'inculpé ou le prévenu peut être arrêté/détenu ou en liberté. D'où il ne faut pas confondre l'arrestation et les poursuites pénales, ni les autorisations y relatives.
La constitution du 18 février 2006 distingue très clairement, l'autorisation de poursuite et l'autorisation d'arrestation. Pendant, la session parlementaire, c'est à la chambre d'autoriser les poursuites et/ou l'arrestation contre un député ou un sénateur. (Art 107 Al 2 de constitution : «aucun parlementaire ne peut, *en cours de sessions* , être POURSUIVI ou ARRÊTÉ ... qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale ou du Sénat selon le cas»)
Mais en dehors de session parlementaire, la constitution accorde au bureau de la chambre le seul pouvoir d'autoriser l'arrestation et non celui d'autoriser les poursuites (Art 107 al3 de la constitution : «en dehors de sessions, aucun parlementaire ne peut être *ARRÊTÉ* qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale ou du Bureau du Sénat»). Remarquez que le constituant n'a plus parlé de l'autorisation de poursuivre, celle-ci n'est plus exigée pendant les vacances parlementaires. Le bureau de la chambre n'intervient que s'il y a besoin d'arrestation, c'est alors seulement que le procureur demande au bureau de la chambre l'autorisation d'arrestation.
Ainsi, pendant les vacances parlementaires, l'ouverture du dossier pénal, le mandat de comparution, l'audition de l'inculpé, des témoins, les constatations, la fixation de dossier avec prévenu en liberté, l'instruction du dossier par le juge et sa plaidoirie, les réquisitions des peines sont faits sans requérir aucune autorisation du bureau de la chambre à laquelle appartient le parlementaire accusé.
Ainsi, le procureur général près la cour constitutionnelle ne devrait pas demander l'autorisation de poursuite au bureau du sénat mais plutôt l'autorisation d'arrestation encore faudrait-il que le sénat soit hors session. (Il semble qu'au jour du requitoire en question du procureur, le 24 juin 2021, le sénat n'avait pas encore clôturé sa session). Les poursuites devraient être engagées d'office par le procureur contre le sénateur Matata, pendant les vacances parlementaires tant qu'on ne l'arrête pas. D'ailleurs la liberté pour tout inculpé ou prévenu est la règle et l'arrestation ou détention, une exception (article 17 de la constitution).
Par ailleurs, l' autorisation des poursuites et/ou d'arrestation à donner par la chambre parlementaire ainsi que l'autorisation d'arrestation à donnée par le bureau de la chambre, ne sont jamais une opportunité pour le sénat ou son bureau, d'exercer le pouvoir judiciaire, pour chercher à entendre le sénateur inculpé sur les faits lui reprochés, encore moins une occasion pour le sénat ou son bureau d'apprécier le bien fondé de l'accusation !!! Cette autorisation des poursuites et/ou d'arrestation demandée au sénat ou à son bureau n'est pas non plus un mécanisme d'organisation de l'impunité pouvant consister à protéger les auteurs des crimes. La constitution n'a pas entendu placer le sénat au dessus du pouvoir judiciaire ni lui accorder le super pouvoir de paralyser l'action judiciaire.
Il faut noter que cette disposition est un mécanisme donné au parlement pour ne pas être perturbé dans son action législative par les pouvoirs exécutif ou judiciaire. En effet, lorsque les poursuites judiciaires sont de nature à empêcher l'action parlementaire (notamment, le vote, les initiatives des lois, des motions, ...), le refus d'autorisation de poursuite permettra au sénat ou à l'assemblée nationale de faire aboutir son action législative. (Voilà la raison d'être de ce mécanisme). C'est pourquoi le refus d'autoriser les poursuites et la suspension de poursuite judiciaire décidés par le parlement, sont exclusivement liés à la session en cours et ne concerne pas les moments de vacances parce que pendant ce temps, il n'y a pas d'activités parlementaires.
Etant donné cependant que le pouvoir judiciaire peut dans le but de paralyser l'action parlementaire, amorcer librement les poursuites avant la session parlementaire pour que cela se poursuive jusqu'à la session (ou même invoquer la libre arrestation pour cause de flagrance), le constituant a donné à la chambre parlementaire, le pouvoir de suspendre les poursuites (ou la détention) judiciaires librement entamées hors session pour la durée de la session en cours. C'est pourquoi, l'article 107 alinéa 4 de la constitution annotée dispose que: «... la poursuite d’un parlementaire est suspendue si la Chambre dont il est membre le requiert. *La suspension ne peut excéder la durée de la session en
cours* ».
Ainsi, le refus d'autorisation de poursuite judiciaire contre un parlementaire décidée par une chambre, n'est prévu que dans le seul contexte d'équilibre du pouvoir pour éviter que l'exécutif ou le juge ne paralyse l'action parlementaire.
Dès lors que le sénat n'indique pas la protection de l'action législative dans son refus d'autoriser les poursuites ou l'arrestation, cela constitue une violation de l'esprit de la constitution et la cour constitutionnelle est compétente pour annuler pareil vote et faire respecter la volonté du constituant. Le sénat n'est pas une juridiction et ne peut apprécier le bien fondé de l'action judiciaire sans s'immiscer dans les attributions du pouvoir judiciaire. À ce sujet, l'article 151 alinéa 2 de la constitution dispose clairement que «le pouvoir législatif ne peut ni statuer sur des différends juridictionnels, ni modifier une décision de justice, ni s’opposer à son exécution ».
C'est donc à tort que le bureau du sénat s'évertue à inviter le sénateur inculpé Matata Ponyo pour l'entendre sur les faits lui reprochés par le parquet.
Le droit, c'est la rigueur de la raison!
CT. Me Nsolotshi Malangu
Avertissement : Cet article scientifique n'a pas abordé pas la question de la compétence de la cour constitutionnelle et du parquet pres cette cour, à poursuivre un ancien premier ministre devenu senateur, pour des faits commis pendant ses fonctions gouvernementales. Cette dernière question ayant déjà été abordée par une réflexion antérieurement publiée sur cette page.