10/11/2024
Rencontre avec J. P. Chabot et Audrey-Ann Bélanger, au sujet de VOYAGE À LA VILLA DU JARDIN SECRET, de l'aventure ayant mené à ce roman qui s'écrit au point de rencontre de l'amitié, du handicap, de la littérature et de l'enseignement. Texte et reportage par Laurence Gallant, sur Radio-Canada / ICI Bas-Saint-Laurent (lien en commentaire) :
« “Qu’on baisse les bras devant le combat de vivre, qu’on ne l’affronte pas ‘la tête haute,’ on n'est pas mieux que lâche”, dénonce Jean-Philippe Chabot dans son roman VOYAGE À LA VILLA DU JARDIN SECRET. Il voulait raconter la vie de son amie Audrey-Ann Bélanger, atteinte d’une maladie neurodégénérative. Le voilà plutôt en train de raconter l'histoire de leur amitié, qui s'entremêle à la critique d'un certain discours qui contraint parfois les personnes handicapées à faire de leur vie un exemple d'héroïsme.
Dans ce troisième roman publié aux éditions Le Quartanier, Jean-Philippe Chabot, qui est aussi professeur de littérature au Cégep de Rimouski, présente un récit sans pudeur, le sien, mais également celui de son ancienne étudiante, Audrey-Ann Bélanger, atteinte d’ataxie de Friedreich.
Il s'agit d’abord de cette amitié atypique, née autour du projet d’écriture d’Audrey-Ann.
Si la relation entre Jean-Philippe-Chabot et son élève se voulait d’abord “pseudo-éditoriale,” elle s’est transformée en un lien très intime. Il est devenu un proche ami d’Audrey-Ann, de ceux qui l’accompagnent à l’hôpital, ou qui se rendent d’urgence à son appartement pour l’aider à se relever d’une chute, quand un préposé n’est pas en mesure de lui porter rapidement assistance.
Elle rêvait de publier un témoignage pour décrire sa réalité, mais surtout pour montrer que le fait de vivre avec une maladie freinant à la fois la motricité et l'élocution pouvait être abordé avec détermination et courage.
“Quand on veut, on peut”: l’épreuve du handicap est alors “mise au service du récit de la résilience,” écrit Jean-Philippe Chabot, qui porte par ailleurs dans ce livre la voix de la narration. En s’engageant à aider son ancienne élève à travailler son témoignage, il se trouve confronté à un conflit de valeurs.
“Ça embrasse une idée trompeuse de la méritocratie. C’est une idéologie qui nie tout un tas d’effets de systèmes exclusifs, qui passe sous silence les conditions inégales d’accès à ce qu’elle présente comme un succès,” explique-t-il dans le roman.
“Comment dire qu’Audrey-Ann n’a pas à jouer ce rôle, qu’elle n’a pas à incarner, à relayer des slogans destinés à réconforter les valides?”
VOYAGE À LA VILLA DU JARDIN SECRET nous plonge ainsi dans les efforts de l’écrivain – qui craint par la même occasion de trahir son amie – à rendre compte d’une vie vraie, celle d’Audrey-Ann, et la sienne, sans embellissement. S'appuyant sur les disability studies, il évacue tout discours qui circonscrirait leur réalité à des cases prédéfinies ou à des images limitant ce qu’une personne peut avouer de sa souffrance et des abus subis, et qui l’empêchent de s’en libérer.
La résilience prônée par Audrey-Ann l’aidait à vivre, raconte Jean-Philippe Chabot en entrevue. “C’est là que ça s’entrechoquait beaucoup. Ç'a été super long avant que je m’ouvre et que je lui lise [ce que j’avais écrit]. J’ai été pris avec mon secret très très longtemps. Et, finalement, quand je lui ai lu ça, il y a eu de très beaux moments, des moments d’échange profonds, de rigolades, des moments où on a mangé des ananas presque tout nus dans le lit – là, ça prend le contexte du livre, vous irez lire – et d’autres où, justement, ces visions-là se sont entrechoquées.”
“Il y a des masques qui devaient tomber, de mon côté comme du sien. Je pense que ça nous a mis à découvert, ça a exposé nos vulnérabilités, et à partir du moment où deux vulnérabilités se parlent, je pense qu’il y a des choses belles qui peuvent en sortir.”
Cette vulnérabilité transparaît dans chaque recoin du roman, qui écorche toutefois l’institution sans lésiner : celle du milieu de la santé (en passant par les horodateurs de stationnement), celle du milieu de l’enseignement, ou encore celle du milieu littéraire.
La vision acerbe non dénuée d’humour du narrateur témoigne tout de même d’une époque où il nageait en pleine dépression, qu’il tentait de noyer en partie dans l’alcool, convient l'écrivain.
Ce roman “labyrinthique et tout en escaliers” semble se réfléchir, s’écrire à mesure qu’on le lit. Il se construit également autour d’un dialogue, alors que J. P. Chabot fait entrer la voix d’Audrey-Ann Bélanger, qui apporte ses commentaires, ses demandes, ses appréhensions vis-à-vis du texte, alors qu’ils sont en voyage ensemble au Costa Rica.
On y fait la rencontre d'une jeune femme qui désarçonne par sa vivacité, sa sensibilité et son autodérision. Elle convient que son discours à l'égard de son handicap et de la maladie a changé, au fil des discussions avec son ami.
Le roman s'accompagne sans nul doute d'une “forme d’intransigeance pédagogique qui, en vertu d’une haute idée de la littérature, a engagé une entreprise biographique sur le chemin d’une double initiation au militantisme et au travail littéraire,” comme l'écrit Chabot.
Audrey-Ann se dit fière de ce livre qu’elle trouve touchant dans sa façon d’aborder les choses, de nommer les choses importantes, parfois avec des teintes d’humour. “Ça ne pouvait pas être mieux, affirme-t-elle, confiant du même souffle avoir d’abord voulu ne garder que le beau, que le positif de son histoire.”
Elle appréhendait donc ce que son ami écrivain allait faire de son récit. “Au départ, je croyais que ça allait peut-être [parler] de mes moments plus sombres, ou plus difficiles, indique-t-elle. Moi je suis tout le contraire, c’est juste le meilleur. Je ne parle jamais des moments sombres.”
Comme en réponse, le narrateur écrit, dans VOYAGE À LA VILLA DU JARDIN SECRET, “que la seule façon de rendre justice à [s]on amie, c’était de montrer qu’elle était un être humain, pas une icône, pas un stéréotype, pas une surface où projeter nos BA.”
Jean-Philippe Chabot espère que lecteurs et lectrices retiendront de ce roman l’histoire d’amitié, qui les nourrit beaucoup, tant Audrey-Ann que lui. “Pour nous, c’était important de dire que deux êtres humains, peu importe qui ils sont, ce qu’ils sont, peuvent s’apporter quelque chose et faire un bout de vie ensemble et s’enrichir. L’histoire d’un lien, finalement, c’est ce qu’Audrey-Ann m’a demandé d’écrire. À travers notre voyage, à travers ce qu’on a vécu dans les dernières années.”
“L’amitié au sens pur, c’est possible. Des fois, ça nous surprend, ça a quelque chose de beau et de positif, et ça ne correspond peut-être pas à l’image de la perfection.” »