01/09/2018
Safiatou Lopez Fafie Zongo, figure de la révolution burkinabée, brutalement arrêtée à Ouagadougou
Le domicile de la militante a été pris d’assaut par les forces de sécurité, sans aucune justification selon ses défenseurs.
Les autorités ont voulu montrer leurs forces. Safiatou Lopez, militante des droits humains au Burkina Faso et figure de la révolution de 2014, a été arrêtée à son domicile de Ouagadougou, mercredi 29 août, après le déploiement, sous les yeux de riverains, d’un important dispositif de l’unité spéciale d’intervention de la gendarmerie.
Des pick-up et des motos de la section chargée de la lutte anti-terroriste ont encerclé la villa de la présidente de l’Association pour la promotion de la démocratie et la participation citoyenne (APDC), dans le quartier huppé de Ouaga 2000. Pendant qu’un drone survolait la maison, des militaires, gilet pare-balles sur le dos, arme à la main, ont établi un périmètre de sécurité, selon les images de caméras de surveillance, que Le Monde Afrique a pu visionner.
L’assaut a été donné à 21 h 30. « On a entendu des bruits assourdissants, le grand portail métallique de la cour a été défoncé », rapportent des témoins. « Vu tout le dispositif militaire déployé, c’est comme s’ils étaient venus arrêter une terroriste. Ils sont entrés par la force, ils sont même passés par la fenêtre, sans autorisation, alors que Safiatou était chez elle avec ses enfants », témoigne Abraham Badolo, le président de l’Alliance pour la défense de la patrie (ADP, une organisation de la société civile), présent au moment de l’interpellation.
« J’ai échangé avec le militaire chargé des opérations, il m’a dit qu’il ne savait pas lui-même ce qu’on reprochait à Mme Lopez. Il s’agit purement et simplement d’une séquestration », dénonce son avocat, Silvère Kiemtarboum, qui n’a pas eu accès au domicile de sa cliente. Le soir même, Safiatou Lopez était conduite au camp de gendarmerie de Paspanga, dans le centre de la capitale burkinabée.
Carton rouge
Au Burkina, Safiatou Lopez Zongo est connue pour avoir participé aux différentes manifestations de 2014 ayant entraîné la chute de l’ancien président Blaise Compaoré, puis contre le coup d’Etat manqué de septembre 2015. En mai, la femme d’affaires et militante de 42 ans, proche de Roch Marc Christian Kaboré jusqu’à son élection à la présidence du pays en 2015, avait brandi un carton rouge symbolique lors d’une manifestation. « S’il y avait un carton plus grave que le rouge je l’aurais donné, parce que le pouvoir a échoué sur toute la ligne. Le peuple burkinabé est bâillonné », fustigeait-elle.
Dans la société civile, l’annonce de son arrestation est un choc. Les messages de soutien se multiplient sur les réseaux sociaux. « Il y a des violations de la procédure judiciaire dans cette affaire. Aucune notification n’a été faite à Safiatou Lopez des charges qui sont portées contre elle et qui justifient sa détention en garde à vue. Nous dénonçons également la forme de l’arrestation, qui a été pour le moins musclée », déclare Siaka Coulibaly, porte-parole du collectif Dignité et Liberté pour Safiatou Lopez, créé jeudi pour exiger sa libération.
« Il est clair que c’est une action politique contre notre camarade, déplore Abraham Badolo. C’est sa personne même qui est visée, parce qu’elle critique la gestion du régime. On veut l’intimider car elle sait certaines choses. Ils sont en train de chercher les moyens pour la faire taire définitivement. »
« Aucun mandat d’arrêt »
Le chef de l’opposition, Zéphirin Diabré, qui s’est également rendu sur les lieux au moment de l’interpellation, s’inquiète : « Cette manière d’agir qui consiste à arrêter les leaders d’opinion sur la base de suspicions met clairement en danger nos libertés fondamentales. Si nos autorités peuvent faire encercler les domiciles et enlever des citoyens acteurs du débat démocratique sous quelque prétexte que ce soit, alors nous ne sommes plus dans un Etat de droit. L’arrestation de Safiatou Lopez s’inscrit dans une liste de détentions arbitraires, au même titre que celles de Pascal Zaïda [accusé de manifestation illégale, le militant a finalement été relaxé en 2017] et Naïm Touré. »
Naïm Touré a été condamné à deux mois de prison ferme, le 27 juin, pour un post virulent publié sur Facebook et critiquant le pouvoir. « Je suis choqué par tout l’arsenal qui a été déployé, dit-il, tout juste sorti de prison. Les moyens utilisés pour mettre aux arrêts les opposants sont inexplicables, les motifs invoqués ne tiennent pas. Aujourd’hui, on place les opposants au même niveau que les terroristes. »
Des perquisitions se poursuivaient, vendredi, au domicile de Safiatou Lopez. « Le major qui dirige les opérations m’a confirmé qu’il agissait sans aucun mandat d’arrêt. Les ordres viennent du procureur du Faso au tribunal de Ouagadougou », précise Me Kiemtarboum. Dans un communiqué, le parquet a annoncé vendredi avoir procédé à l’arrestation de Mme Lopez sur la base « d’éléments qui faisaient état de son implication possible dans une tentative de faire évader des détenus de la Maison d’arrêt et de correction des armées. Son interpellation […] a été faite dans le strict respect de ses droits et des règles »