21/02/2023
C’est le talk show à l’américaine mais en version russe.
Dans son adresse à la nation prononcée aujourd’hui, jour anniversaire de la reconnaissance de l’indépendance des deux républiques ukrainiennes, Poutine consacre un premier quart d’heure/vingt minutes à dérouler la liste des péchés de l’Occident, des mensonges, du cynisme, de la cruauté. L’Eglise anglicane envisage de dé-genrer Dieu. C’est grave. Poutine dodeline, puis, empreint de douleur, lève les bras en croix pour implorer la grâce divine : Boje, prasti! Dieu, pardonne (-leur)! La décadence occidentale qui, je cite, institutionnalise pratiquement la pédophilie (je cite toujours) ne passera pas.
La Russie doit se protéger. Elle doit se défendre. Et défendre l’Ukraine, peuple frère, face aux manipulations de l’occident. Pour s’acquitter de cette regrettable mais nécessaire tâche, la Russie est contrainte d’utiliser la force (reprise d’un thème énoncé il y a pile un an: « parfois la force doit se mettre au service du bien).
Deuxième quart d’heure: honneur aux héros. Poutine annonce une série de cadeaux pour les soldats, les blessés, les veuves, les orphelins, toutes les victimes de la défense de la patrie. Leurs loyers seront subsidiés, ils auront de bonnes écoles, un accès aux soins, des primes, bref toute une panoplie de cadeaux pour faire passer la pilule de leur sacrifice. De telles largesses doivent suffire à renvoyer les mères de soldats en cuisine; pour peu, cela donnerait presque envie d’aller mourir au champ de bataille.
Clap troisième: tout va bien. En fait, tout va de mieux en mieux: taux historiquement bas de chômage; croissance économique, investissements tous azimuts avec un bonus pour l’agriculture qui n’a jamais tant produit et donc tant exporté. (œillade aux économies émergentes qui peuvent compter sur Moscou)
Quatrième acte: fin de la domination de l’occident, caractérisée par la dédollarisation des échanges.
C’est à partir de là que les idées deviennent intéressantes:
1. L’avalanche de sanctions est conçue comme la nouvelle normalité du destin russe. La messe est dite mais la Russie peut être reconnaissante car cela permet d’identifier les faiblesses et d’y remédier (l’autonomie stratégique version russe). Discours en miroir des européens qui disent: désormais plus de gaz russe: c’est un terrible choc mais une bonne chose pour accélérer la transition environnementale. Des deux côtés, donc, on omet des petits détails…
2. Contrairement à l’an passé, je n’ai pas entendu de menaces aux traitres intérieurs. Le discours est orienté sur l’union nationale et le vrai patriotisme ce qui amène au prochain point:
3. A mon avis le temps fort du discours (a côté de la suspension de START): tous ceux qui avaient pensé que c’était une bonne idée d’investir à l’ouest, de s’y prélasser, d’y parader doivent avoir compris que c’était une mauvaise idée et une idée sans avenir. Ceux-là mêmes peuvent trouver un nouvel élan entrepreneurial en investissant massivement et patriotiquement dans leur propre pays, ses infrastructures, son éducation etc. « Launch new projects, earn money, work hard for Russia, invest in enterprises and jobs, and help schools and universities, science and healthcare, culture and sports. In this way, you will increase your wealth and will also win the respect and gratitude of the people for a generation ahead. The state and society will certainly support you ». On peut toutefois se demander si la logique de l’Etat, dominée par des considérations d’utilitarisme patriotique, est en phase avec la logique des investisseurs qui repose avant tout sur la confiance dans le marché, en l’occurrence le marché national. Ceci indique donc en tout état de cause qui seront les prochains grands gagnants de l’oligarchie russe, et Poutine ne le cache pas puisqu’il dit clairement que ceux là seront soutenus et protégés.
4. Pour conclure cette liste non-exhaustive, soulignons les trois dernières phrases du long discours qui reprennent le grand thème de la virilité tellement présent dans le discours officiel depuis un an : la Russie est une puissance virile et digne. « La force est avec nous ».